Mangeuse de vie

Pas de Cirque cette fois, juste quelques mots venus comme ça.
Un peu trop brouillon et flou pour être compréhensible, mais après tout - je me comprends.

Mangeuse de vie

Les couleurs dans ses yeux sont celles du sang d’abord, iris rouge comme ses genoux écorchés, puis bleue comme le ciel. Une couronne d’épine entre ses dents et sur sa langue des mots qu’on n’apprend pas aux enfants et qui font fuir les curieux.

Son simple plaisir d’être en vie ne connaît pas de limite. Qu’est-ce qu’une blessure de plus ou de moins ? Rouge dans ses yeux et sur sa peau, sur ses genoux et sous ses ongles.
Du rouge sur ses mains, sublime preuve qu’elle est en vie.

J’aimerais te montrer un rêve que j’ai fait.
Dans lequel nous nous satisfaisions de ce que nous avions.
Hélas, au matin réveillée,
Quelle déception…


Ce monde est devenu trop étriqué pour elle alors elle le dévore petit à petit. D’un sourire, d’un regard, d’un mouvement de ses hanches. Tout dévorer et ne rien laisser de ce qu’elle a connu, de ceux qu’elle a connu. De ce qu’elle a été. De ce dont elle vivait, avant. Tout ce qui était triste et gris, dégoûtant.
Ce monde la dégoûte assez pour qu’elle le mange, tout entier, avec le reste. Sa couronne d’épines finit de réduire en morceaux ce qui doit l’être avant qu’elle n’y morde à pleines dents, et c’est encore meilleur si elle s’y blesse au passage.
Du rouge dans sa bouche, délicieuse preuve qu’elle est en vie.

Elle tire sa langue écorchée et savoure la douleur en même temps que le reste. Ce qu’elle voit, personne ne le voit comme elle. Tout à l’envers, tout à refaire. Tout à manger, tout, elle le digère.

Jusqu’à son cœur entre ses mains, tout palpitant de vie et de sang, tout cabossé de vieilles tristesses et déceptions – tout à refaire. Ces souvenirs en noir et blanc, tout, elle les digère.
Le trou dans sa poitrine n’est pas un vide à combler ni une plaie à panser, c’est une porte grande ouverte aux espoirs futurs.
Elle l’embrasse d’abord comme pour s’excuser, ce cœur mis à mal tant de fois. Comme une promesse aussi, de ne pas laisser le prochain finir de cette façon, rétréci et lacéré par la sécheresse des douleurs passées.
Puis n’en fait qu’une bouchée. Sans la laisser aux épines.

Son propre sang coule à flots sur son menton et son cou.

Elle l’entend palpiter une dernière fois dans sa gorge, boum boum, si fort qu’elle n’entend plus rien d’autre pendant un long moment. Ça lui rappelle soudain qu’elle ne l’avait plus entendu battre depuis très longtemps ; le son du prochain, elle veut l’entendre à chaque instant.

Assez de ce qui était gris, triste et dégoûtant. Elle le digère.

Boum boum.
Ses ongles raclent les bords du trou dans sa poitrine et elle sourit.
Avec du rouge sur sa bouche, parfaite preuve qu’elle est en vie.

Cirque Nocturne : présentation de la troupe

Les personnages du Cirque Nocturne sont nombreux et peu ont été vraiment présentés. Une courte présentation de chaque membre sépare chaque partie de l'histoire. Voici les trois premières.

La Dompteuse

« Regardez la dompteuse, il n’y a aucun subterfuge, elle n’est pas montée sur échasses et ne doit sa taille vertigineuse qu’à la nature. Ses cheveux aussi sont impressionnants de longueur, de sombre profondeur, et recouvrent à eux seuls presque la piste entière. Aucune émotion sur son visage maquillé. »

Si Mademoiselle est là depuis le commencement, la Dompteuse vient tout de suite après. Seconde sur la liste, elle est en effet le premier monstre de Mademoiselle. Une géante taciturne à la beauté froide dont le visage bien loin du sol ne se froisse jamais d’aucune expression, aux cheveux noirs si longs qu’ils serpentent sur le sol comme dotés d’une vie propre presque partout dans le cirque. Il n’est pas rare d’y voir cachés quelques oiseaux apprivoisés prenant leur dompteuse pour une sorte d’arbre mobile sur lequel il est toujours permis de se poser.
Peut-être est-ce elle qui a inspiré le nom du cirque, avec son apparence et ses habits de scène rappelant toujours, d’une façon ou d’une autre, le ciel étoilé. Son corps immense et fin se perd dans des corsages et des dentelles noirs pailletés de façon à imiter quelques astres, d’interminables colliers de perles immaculées ou de croissants argentés. Et même sans parures, sa peau blanche prend un aspect lunaire jouant du contraste entre sa pâleur et le noir parfait de sa chevelure démesurée.

Monstre gigantesque silencieux et présent, statue de porcelaine parée de blanc et de bleu nuit, elle est l'ange gardien du Cirque. Son regard ne rate rien de ce qui se passe sous le chapiteau. Elle est toujours derrière la scène, presque fondue dans le décor, et n’en sort que rarement.
Entre ses mains passent toutes les créatures accueillies par le cirque, car sa patience et sa force proportionnelles à sa taille lui valent de pouvoir dompter et éduquer même les plus sauvages. Jamais elle n’élève la voix ou ne fait claquer son fouet sans bonne raison. Un coup d’œil de sa part suffit en général à faire revenir l’ordre.

Le Jongleur

Le Jongleur est une présence unique qui semble à la fois partout et nulle part. Sorte d’ombre noire de forme vaguement humaine qui apparaît et disparaît dans le cirque, il porte en guise de visage un masque blanc comme ceux des théâtres d’antan dont l’expression change à sa volonté – comme par enchantement. A-t-il un corps sous ce voile noir qui le couvre, un véritable visage sous ce masque ? Mademoiselle est sans doute la seule à le savoir.

Le moindre objet sur lequel s’attardent ses mains gantées devient instrument de jonglage et prétexte à improviser un spectacle. Il est rare, sinon impossible, de ne pas le voir en train de jongler et ce quoi qu’il fasse à côté.
On ne sait d’où il vient, mais lui semble tout savoir sur les autres habitants du chapiteau. S’il est une présence unique et angoissante, c’est qu’il apparaît toujours pour faire une révélation ou partager un brin de philosophie le plus souvent dans le but de semer le trouble comme un sombre fantôme de mauvais augure.

Le cracheur de feu, dit le Favori

« Des flammes naissent et meurent aussitôt dans la gueule de la créature gémissant de douleur au fond de la cage de glace. C’est le froid qui l’empêche de bouger, et la haine dans son regard est si forte qu’il semble n’attendre qu’une occasion de pouvoir à nouveau se mouvoir. »

Bien que son comportement ne soit pas différent qu’il s’agisse de lui ou du reste de la troupe, Mademoiselle rappelle à qui veut l’entendre que cette créature compte parmi ses préférés. C’est ce qui lui a valu le surnom de favori.
Son apparence est celle d’un être humain d’une trentaine d’années, mais il est difficile lorsqu’on le voit pour la première fois de le distinguer d’une bête sauvage. Pour une raison inconnue, il est capable de cracher du feu ou d’en faire jaillir de son corps, ce qui lui vaut d’être enfermé dans une cage de glace et entouré d’eau, pour l’affaiblir et l’empêcher d’user de ses dons sur les visiteurs. Il est le seul membre de la troupe à ne pas obéir à la Dompteuse, seule Mademoiselle peut s’en faire écouter. Lorsqu’elle quitte le Cirque, elle l’emmène parfois pour faire office de garde du corps.

Il n’y a qu’en présence de la lanceuse de poignards qu’il présente un côté plus civilisé, qu’il parle et se comporte comme un homme et non pas comme un animal.

Cirque Nocturne : quatrième partie

Le cirque fêtera le mois prochain sa première année d'existence, et je suis toujours aussi lente à la correction et relecture de ce que j'ai déjà écrit dessus. Pas très glorieux tout ça... Allez, au travail !

IV. Immersion
Les voix sur la scène

Le rideau n’est pas encore levé que déjà s’élève la voix de la chanteuse. Plutôt qu’une langue inconnue, peu à peu le chant se révèle être de longues syllabes sans sens. Il n’en est pas moins beau. La salle est plongée dans l’obscurité jusqu’à ce que s’allume une multitudes de chandelles sur la scène en guise de projecteurs. L’aspect de la diva révélée stupéfie les spectateurs ; sa peau, ses cheveux et même ses ongles, on croirait son corps tout entier fait de verre ou cristal poli. La moindre petite flamme se reflète sur sa peau miroitante pour en faire un étrange, splendide et effrayant chandelier vivant.
Parmi la foule on s’offusque, on s’émerveille, on s’interroge : comment une telle chose peut être possible - humainement, scientifiquement ?

Comme pour y répondre, Mademoiselle a rejoint la scène aux côtés de la chanteuse de verre et d’un doigt sur ses lèvres fait taire les voix qui avaient voulu se faire entendre. Silence. Appréciez.
Le chant monte plus haut et ressemble maintenant à celui d’un carillon, des notes métalliques comme une voix humaine ne saurait reproduire. N’y a-t-il pas plusieurs voix ? Non… il y a une sorte d’écho sur la scène qui créé un chœur imaginaire à partir de la seule voix de la chanteuse. Du haut du chapiteau descendent doucement des sphères de verres suspendues comme les décorations du sapin. Ah ce sont elles, en plus du corps même de l’étrange diva, qui font résonner cet écho unique. Les flammes des bougies dansent au rythme des respirations raccourcies, des ondes provoquées par le son ; le chapiteau tout entier devient l’intérieur d’une boule à neige musicale qu’on viendrait de retourner.

Le chant atteint bientôt des aigus rares et se fait plus plaintif. Une sphère de verre passe devant le visage de la chanteuse qui rouvre les yeux. L’expression de Mademoiselle a changé.

De l’obscurité apparaît une silhouette jusque là tenue éloignée des chandeliers dont on ne distingue vraiment qu’un masque blanc tout droit sorti d’un coffre de la Commedia dell’Arte et des mouvements brefs. On le croirait entouré de bulles éphémères mais ce sont ses mouvements qui les font bouger : le Jongleur.
Quelques applaudissements timides suivent son arrivée, qui s’étouffent aussitôt. Il n’est pas seul et dans son ombre se dessinent bientôt les contours de grandes ailes blanches comme celles d’une colombe. Non. D’un ange. C’est un ange que le jongleur tire derrière lui au bout d’une chaîne. Cinq paires d’ailes dans son dos et sur son visage l’expression de la douleur. Nouveaux murmures dans la salle – sont-elles vraies ? Il ne porte aucun costume pour dissimuler quelque artifice maintenant les ailes immenses, non, elles sont bien réelles et pèsent bien lourd sur les épaules de leur porteur dont les jambes tremblent et se seraient sans doute déjà dérobées s’il n’y avait le Jongleur pour le supporter.
Les bras grands ouverts, il chante à son tour.

La chanteuse ne s’est pas interrompue et peu à peu sa voix est couverte par ce chant plus fort que le sien, plus douloureux, rivalisant avec le sien dans des aigus impossibles. Trop haut, trop beau, il en est presque difficile à supporter. Beaucoup se bouchent les oreilles. Les sphères de verre répètent le son à l’infini, mais bientôt sa hauteur les fait éclater une à une.
Mademoiselle a un regard en direction de la chanteuse ; la gorge de celle-ci vient de se fissurer et son bras droit éclate en un millier d’éclats transparents. Pas de sang, juste des morceaux de verre épars sur la scène. Une grimace de douleur, mais c’est tout. Cela n’arrête pas la chanteuse, ni n’arrête l’ange. Duo étrange.

Leurs voix se mêlent peu à peu en une même plainte déformée par l’écho tordu que renvoient le verre et le cristal brisés. Le chant devient une arme, et sa beauté meurtrière. Dans la salle, les spectateurs en ont les larmes aux yeux – et les oreilles qui sifflent.
Les fissures s’agrandissent et se dispersent sur le corps fragile comme autant de veines sinueuses. Cela doit cesser.

Mademoiselle claque des doigts ; aussitôt jaillit de l’obscurité un long bras blanc dont la main se pose sur la bouche de l’ange pour le réduire au silence, et qui l’entraîne finalement loin des regards et de la scène. La chanteuse s’est tue, emportée par le Jongleur. Un silence hébété fait place au duel de voix douloureuses qui résonnaient encore quelques secondes plus tôt. Seule sur scène, la maîtresse des lieux fait une révérence et annonce le prochain numéro avec un sourire plaisant. Le spectacle reprend et peu à peu l’on se remet de ce moment de flottement, cet instant à la fois magnifique et cruel, en s’imaginant que cela faisait partie du numéro.

En coulisses, Mademoiselle gifle le Jongleur si fort que son masque en tombe par terre. Mais elle n’est pas énervée, au contraire son sourire est celui d’une enfant ravie ; l’expérience était trop intéressante et Mademoiselle aime tant tout ce qui est intéressant. Elle prévient juste le jongleur de ne plus mettre la vie de ses artistes en danger de la sorte sans l’en avertir plus tôt. Le masque sur le sol lui en fait la promesse avec un ricanement.

A la fin du spectacle, elle rejoindra le chevet de la chanteuse et ordonnera qu’on répare ce qui peut l’être sans que sa voix en pâtisse, pour qu’elle retourne sur scène le plus tôt possible. Ne pas atténuer la douleur, non, il en naît de telles beautés.

Mademoiselle passera la journée suivante à fredonner dans les couloirs et recoins du cirque endormi. Le duo improvisé lui a donné des idées de numéro qu’elle veut à tout prix voir se réaliser.

Cirque Nocturne : troisième partie

Comme dit précédemment, la deuxième partie est en fait l'introduction postée plus tôt. Les différentes parties de l'histoire du Cirque sont indépendantes les unes des autres, d'où le nom de 'parties' et non de 'chapitres'.
Entre chaque partie est présenté un membre de la troupe. Je posterai sans doute ces présentations dans un post à part, afin de ne pas surcharger ceux de l'histoire.

III. Coulisses
Lueurs du jour

Lorsque le soleil se lève, le Cirque nocturne ferme doucement ses portes et plonge dans le sommeil. Un repos éphémère de quelques heures après lesquelles l’effervescence reprendra de plus belle, c’est le rituel quotidien de ceux vivant dans ce monde si différent de celui des créatures diurnes.

La piste est déjà vide et tous ont regagné leurs cages, leurs loges ou quelque endroit dans lequel ils passent ce court temps libre.
Comme chaque matin, la Dompteuse a détaché le garçon ailé et l’a aidé à s’allonger et profiter du repos sans souffrir du poids de ses ailes. Elle a laissé le Clown s’occuper des siamoises qu’il a pris l’habitude de saluer avant de sortir profiter de la lumière solaire qu’il est l’un des rares à voir, et en a profité pour nourrir les oiseaux et refermer la porte de leur cage.
L’enfant s’est finalement endormie, recroquevillée sur elle-même à même le sol de sa cellule et gardant jalousement au creux de ses bras l’étoffe d’un costume de la Dompteuse déchiré lors d’un de ses accès de colère.

Mademoiselle a disparu sans prévenir comme à son habitude, et la Dompteuse surveille d’un œil paresseux les dernières allées et venues des couche-tard. Ceux qui veulent ou doivent encore s’exercer sont partis de leur côté et il n’y a bientôt plus personne à surveiller, plus aucun mouvement à part ceux, répétitifs et inlassables, de la lanceuse de poignards aux yeux rivés sur sa cible.

« Ma belle, il est l’heure. » prononce à ses côtés une voix sans corps.

Derrière elle apparaît de nulle part le jongleur, qui pose une de ses mains sombres sur son épaule. Ce seul geste semble suffisant pour l’immobiliser et le dernier poignard dans sa main rejoint le sol au lieu de la cible. Le masque blanc du jongleur devient un sourire en direction de la Dompteuse impassible qui ne les quitte pas des yeux ; puis il conduit la jeune femme spectrale hors de la piste et la guide jusqu’à la cage glacée du cracheur de feu comme l’on guiderait un aveugle, avec mille précautions et autant de mots doux.
Le favori de Mademoiselle s’impatiente derrière ses barreaux froids. Il ne peut dormir ni se calmer sans cette pâle et silencieuse compagnie. C’est lui qui l’a tirée autrefois de la mort – il a ses droits sur elle. Peut-être est-ce juste de l’affection. Un amour à la fois brutal et sincère.
Comme chaque matin, son regard transperce le jongleur lorsqu’il apparaît dans son champ de vision sans doute par jalousie à cause de ses mains tenant celles de la lanceuse ; mais une fois que celle-ci a franchi la porte et s’allonge à ses côtés, plus personne n’existe en dehors d'eux et le monstre devient humain. Plus de feu autour de lui, ni même d’aura menaçante.
Ses mains qui d’ordinaire ressemblent aux serres d’un rapace se font caresses à son contact, patientes et protectrices, sa bouche ne crache plus de flammes colériques mais d’inaudibles murmures tandis qu’avec la plus grande douceur elle parcourt la gorge décharnée autour de laquelle est nouée une corde noircie. Son corps irradie de chaleur au point de leur faire oublier la glace autour d’eux.
Le regard sans vie de la lanceuse s’éclaire une seconde lorsqu’il croise celui du favori, puis disparaît sous ses paupières blanches. Ils s’endorment lovés l’un contre l’autre dans une chaleur irréelle.

Le jongleur a rejoint la piste en fredonnant. Il pousse un soupir amusé à l’attention de la Dompteuse.

« Eh bien. Je me demande quand ces deux-là nous feront des petits. »

La géante a une expression de dégoût, juste le temps d’un battement de cils.

« Des existences qui n’auraient pas lieu d’être. »

« Oh ? Et de quoi est rempli ce cirque, si ce n’est d’existences qui n’ont pas lieu d’être ? »

Elle hoche la tête. Le masque du jongleur est devenu un visage hilare.

« Justement. Il y en a déjà suffisamment ici. »

« Ma Tour d’ivoire, je ne t’imaginais pas si intolérante envers tes semblables. »

« Stupidité. Je ne connais pas l’intolérance ; je dis juste ce qui est. »

« Et s’ils le désirent ? » il s’interrompt, puis se corrige, « Et si Elle le désire ? »

« Elle est la seule à décider ici. Nos désirs ne comptent pas. »

« Le tien non plus alors. »

« Je n’ai pas dit qu’il comptait davantage. »

« C’est vrai. »

Elle s’impatiente. La présence du jongleur l’incommode et il en est parfaitement conscient, sans quoi il ne serait pas ici. L’un et l’autre disent faire partie de la troupe, des monstres du cirque, pourtant ils savent que leur statut est quelque peu différent. Ils savent ; c’est ce qui change tout.

L’ombre au masque blanc jongle avec les poignards laissés sur le sol. Il prend de nouveau la parole.

« Sage tour d’ivoire. Quels sont-ils, tes autres désirs ? »

« Rien qui ne te concerne. »

« Oh s’il te plaît, ça m’intrigue. Je te dévoilerai les miens en échange. »

« Ça ne m’intéresse pas. »

Le masque feint une profonde tristesse devant laquelle la Dompteuse reste de marbre. Puis il reprend son apparence souriante. Un court ricanement l’accompagne.
Elle ne l’écoute déjà plus.

« Tant de restrictions pour rien. Tes remparts sont minces, faible tour d’ivoire : il est si facile de comprendre que tu ne souhaites pas voir le moindre nouveau monstre parmi nous. Pourquoi ça ? »

« Tu n’as pas compris quand je t’ai dit que ça ne te concernait pas ? Si tu veux tuer le temps, fais-le autrement et si possible loin de moi. »

Il ne fait pas bon énerver la Dompteuse dont le fouet peut atteindre le moindre recoin du cirque. Pourtant ça ne semble pas déranger le jongleur. Au contraire, il a ajouté deux poignards de plus au cortège déjà impressionnant défilant entre ses mains.

Le soleil à l’extérieur doit maintenant être haut dans le ciel. La dompteuse s’est assise à même le sol, et quelques mètres plus loin, le jongleur n’a pas quitté la piste lui non plus. Le silence est tout ce qu’ils partagent. Le silence bienvenu du repos.
Contre toute attente, c’est la géante qui finit par le rompre. Elle semble parler pour elle-même.

« Les monstres tels que nous n’ont pas le droit de désirer, de vouloir ou de savoir. Penser est aussi prohibé. Tout ce qu’on leur demande, ce qu'on nous demande, c’est d’exister pour offrir aux bonnes gens la vision de ce qui attend les pécheurs, exister en silence, infiniment, maudits par Dieu. Qui souhaiterait voir croître une telle race ? Nous sommes là depuis toujours et pour toujours, tant que le souhaitera la maîtresse. Nous, nous ne pouvons pas souhaiter : seulement exister. Alors à quoi bon être des milliers ? »

Le masque du jongleur devient pensif mais le cercle des poignards ne ralentit pas.

« Que de sages paroles, bien dignes de notre silencieuse tour. Sages mais un peu naïves. Je ne pense pas comme toi, vois-tu. »

Il garde un instant le silence comme pour ménager ses effets, faire durer le suspens. Le visage de la dompteuse est plus lisse et inexpressif que du verre.

« A t’entendre le sort des nôtres est aussi peu enviable qu’une malédiction. Une punition divine ! Foutaises. T’en soucies-tu vraiment, de notre nombre croissant ? Ton corps est trop grand pour abriter un cœur. Ça fait longtemps qu’il n’y a plus rien en toi. »

« Qu’importe ce que tu penses. »

« Qu’importe ce que toi tu penses. Se retrouver sous l’aile de Mademoiselle est un cadeau pour chacun d’eux, chacun de nous. Notre reine des monstres et son affection pour les horreurs vaut bien tous les dieux. N’est-ce pas un honneur que de faire partie de son armée ? »

Pas de réponse. Peut-être a-t-elle compris qu’il n’a pas fini sa tirade, et lui laisse la finir. Peut-être ne l’écoute-t-elle pas le moins du monde.
Un mouvement de sa tête fait tinter une corde de perles dans le rideau de ses cheveux, et le bruit se fait écho d’un petit rire satisfait.

« Nous sommes les fondations d’une nouvelle tour de Babel, et que de belles pierres notre architecte a-t-elle choisi ! Penses-y, tour d’ivoire ; plus nombreux nous serons, plus forte notre armée sera. Une armée de pécheurs qui s’avancera vers ce dieu qui soit-disant nous a reniés, non pas pour l’égaler mais le dépasser et faire tomber son trône en poussières. A notre tête, la pire des pécheresses deviendra la divinité des différents, des difformes et des monstres. Plus nous serons nombreux, plus notre tour sera haute. Ce cirque n’est qu’une étape dans sa construction. »

« Et c’est moi qui suis naïve. »

Un à un, les poignards se plantent dans le sol en un cercle parfait autour du Jongleur. Il se baisse en une révérence polie, mais son visage semble celui d’un prédateur hilare.

« Tout juste, mais crois donc ce qui te plaît. Ce spectacle ne me lassera jamais, et j’ai hâte de voir celui que nous réserve Mademoiselle. Je l’imagine grandiose. La plus belle prestation du cirque nocturne ! Tu t’es habituée à la tiédeur de ta place, mais tu finiras par y prendre part toi aussi et de ton plein gré. »

« Je ne crois pas en Dieu. Ni en tes contes et tes envies de guerre. »

« Bien sûr que si. Tu refuses juste de l’admettre alors que tu es comme nous tous. »

Le temps d’un soupir, il n’y a plus personne sur la piste. Juste la dompteuse à sa place habituelle, son regard masqué sous ses paupières noires.
Il n’est plus nulle part, pourtant reste la voix du Jongleur qui fredonne :

« Toute petite tour d’ivoire, si petite dans l’ombre de la tour de Babel. Feint-elle de renier les enfants des siens par peur de disparaître sous le poids de cette ombre, ou juste par tristesse pour leur sort ? Vaniteuse… ! »

Le murmure disparaît enfin pour laisser place au silence habituel du jour. Immobile, la géante profite de sa solitude et d’un repos mérité qui ne durera que quelques courts instants, car elle ne dort pas, jamais, même la journée. Son rôle est de surveiller. Et les paroles du Jongleur ne l’ont pas le moins du monde ébranlée.
Elle ignore la vanité et l’intolérance qu’il lui reproche. Ses désirs sont bien réels. Son affection pour le cirque et sa dévotion pour Mademoiselle aussi.

Aussi restera-t-elle silencieuse, fidèle et obéira à tous les ordres en étouffant dans l’œuf ses pensées.

Cirque Nocturne : deuxième partie

Ceux qui suivent mon LiveJournal l'ont peut-être déjà croisée ; avant de devenir un énième projet, le Cirque Nocturne était une nouvelle sans prétention écrite un soir d'ennui.
Cette nouvelle fait ici office de deuxième partie.

II. Visite
Entrée des visiteurs

Ces portes n’ouvrent que la nuit. A une certaine heure, un certain soir, toutes petites portes qui s’ouvrent, toutes grandes soudain sur un cirque déformé par l’obscurité.

Bonsoir ! Bienvenue !

Il n’y a pas de monsieur Loyal ici mais une demoiselle, demoiselle Loyale si vous voulez, seule et unique maîtresse des lieux. Aussi étrange que sa demeure, elle appelle inlassablement les visiteurs à entrer, toujours souriante. Mademoiselle n’a qu’un seul œil, très grand, très clair, avec lequel elle vous fixe dès que vous vous approchez du seuil, si clair même qu’il paraît briller malgré l’obscurité. Le second est caché sous un voile rigide que même le vent ne fait pas frissonner.
Mademoiselle vous accueille les bras grands ouverts, sourire grand ouvert, paupière grande ouverte sur son unique iris laiteuse – bienvenue ! Et vous la suivez et franchissez le seuil du petit cirque nocturne perdu dans l’obscurité et les rires. Des rires oui, partout, alors qu’il semble n’y avoir personne à part vous. Difficile de se repérer –
Jusqu’à ce que, soudain, tout s’éclaire dans un bruissement de flammes et un courant d’air.

Bienvenue !

Tout autour des cages, des rires, des chandelles à n’en plus finir. Mademoiselle a le rire le plus fort et tourne sur elle-même pour attirer les regards sur ce qui l’entoure.

Voyez mes spécimens ! Tous uniques et hideux, tous plus déformés les uns que les autres, tous punis pour avoir péché, regardez ! Regardez ce qui vous attend si vous aussi, vous vous détournez !

Mademoiselle vous guide que vous le vouliez ou non, remarquez comme la température chute à mesure que vous avancez. Elle vous rassure, c’est normal, c’est la seule façon de contrôler le spécimen que vous allez voir.
En effet quelques pas plus loin, c’est une cage de glace qui se dresse devant les visiteurs, entourée de volutes pâles formées par l’affrontement entre les différentes masses d’air. Mademoiselle caresse les barreaux gelés et montre du doigt une forme grelottante tapie au fond de la cage ; son petit favori, précise-t-elle en faisant tinter ses ongles sur les barreaux, et celui grâce auquel tout est si bien éclairé ici. Des flammes naissent et meurent aussitôt dans la gueule de la créature gémissant de douleur. C’est le froid qui l’empêche de bouger, et la haine dans son regard est si forte qu’il semble n’attendre qu’une occasion de pouvoir à nouveau se mouvoir, de sauter au cou de Mademoiselle pour l’étrangler dans ses flammes. Ceci suffit à faire fuir quelques visiteurs un peu craintifs et à faire rire Mademoiselle de plus belle. Elle vous rassure à nouveau : celui-ci aboie mais ne mord pas. Et pour vous le prouver, elle saisit un seau rempli d’eau à ses pieds qu’elle lance à travers les barreaux. Le hurlement du captif est tel qu’il en fera fuir quelques autres – mais il ne se redresse que pour mieux se tapir dans un coin sans doute plus sec en rugissant des langues de feu qui glissent, disparaissent autour de lui. Oh… mais c’est qu’il a forme humaine.
Mademoiselle ne s’en soucie plus et déjà, continue la visite.

Sous les rires sans corps qui résonnent dans le chapiteau, nombreux cris de douleur sont en fait étouffés. Regardez à votre gauche, derrière cette vitre miroitante : une maigre petite fille au front couvert de bandages rougis pourtant somme toute ordinaire y est attachée par d’épaisses entraves de métal. Si petite fille, pourquoi est-elle enchaînée de la sorte ? Mademoiselle vous garde de vous approcher davantage, celle-ci est une vraie furie. En effet ; une seconde plus tard, l’enfant semblant si frêle a arraché les chaînes immenses la retenant et cherche à s’en servir pour détruire la vitre qui ne vibre même pas malgré les coups. Ses yeux à elle ne brillent pas du tout ; ils ont même l’air secs, durs comme l’acier et vides de sentiments. Ne restez pas devant elle, allez. Ca ne l’énerve que davantage.
La cage voisine à la sienne est vide, il ne reste plus à l’intérieur qu’une flaque d’eau sur le sol et des barreaux déformés. Ah, ici quelques écailles sèches comme celles d’un poisson qu’on aurait oublié là. Un spécimen décédé ?

Regardez, regardez !

Mademoiselle laisse passer une jeune personne sur les épaules de laquelle tiennent deux têtes quasi identiques. Elle rit à nouveau en vous présentant ses siamoises vendeuses de sucreries ; la tête à gauche vous sourit et vous tend une main, celle de droite au contraire fronce les sourcils. Lorsqu’elles parlent, c’est en même temps. Voici votre monnaie ! Leurs sucreries ont une étrange couleur bleu pâle comme l’unique œil de Mademoiselle et laissent un goût sucré et métallique sur la langue.
Non, ne les mangez pas, semble vouloir dire le regard humide de la tête de gauche tandis que celle de droite ricane. Que vous y ayez prêté attention ou non, les siamoises ont déjà continué leur chemin en direction des autres visiteurs.

Mademoiselle se lamente de l’absence de son clown. Elle vous décrit cette adorable horreur qu’il est, sa peau toute entière devenue comme du bois, ses cheveux comme un étrange amas de lianes feuillues. Elle se désole de ne pouvoir vous présenter son spectacle si divertissant, si drôle dans son manque d’humanité. Ah, mais il reste les pires monstres pour vous heureusement ! Et la voilà repartie à grands pas dans un dédale de cages et de rires enregistrés. Elle vous entraîne au milieu de créatures difformes respirant la haine et l’infortune et s’arrête devant une cage aussi haute que large. A l’intérieur, on ne voit d’abord qu’une étrange masses de plumes mouvante. Mais si l’on regarde bien… on distingue entre les plumes le corps d’un jeune garçon croulant sous le poids d’ailes immenses dans son dos, maintenu debout par des liens à ses poignets.

Regardez celui-ci, de mémoire d’homme il n’y a pas eu pire pécheur ! Regardez, comptez ses ailes – elles sont vraies, toutes ! Six paires mesdames et messieurs, six paires d’ailes à lui seul ! Mais si il y en a six ; on a fait arracher la première pour prouver son authenticité, il en porte encore les marques, vous voyez ? La première paire d’ailes est accrochée au mur derrière moi !

Le trophée fait s’évanouir une visiteuse, mais la maîtresse des lieux ne semble pas s’en émouvoir. Elle tape sur les barreaux pour attirer l’attention du garçon aux ailes qui semble n’avoir la force que de relever la tête. Elle tape plus fort alors – regardez les écailles sur son visage ! Le mouvement fait grincer dangereusement ses liens. S’ils se rompaient, la créature mourrait-elle sous le poids de ces ailes démesurées ? Oh, Mademoiselle ne laisserait pas cela arriver. Elle l’aime trop ce petit. Elle les aime tous ses monstres.

Voyez la piste !
Détournez vos yeux du pécheur sanglotant et regardez derrière, là où s’étend la piste du cirque nocturne et ses artistes fantasques. Au centre, l’enfant aussi chétive que brutale de tout à l’heure fait son entrée aux côtés d’une dompteuse à la taille vertigineuse qui la tient enchaînée à son poignet.
Mademoiselle applaudit à s'en rompre les mains. Regardez la dompteuse dit-elle, il n’y a aucun subterfuge, elle n’est pas montée sur échasses et ne doit sa grandeur impossible (trois, quatre mètres ?) qu’à la nature. Ses cheveux aussi sont impressionnants de longueur, de sombre profondeur, et recouvrent à eux seuls presque la piste entière. Aucune émotion sur son visage maquillé ; elle semble n’avoir aucun mal à contenir la force surhumaine de la fillette cherchant à s’échapper, à briser son collier. Une lame frôle son immense jambe et détourne votre attention vers l’autre côté de la piste où s’exerce une lanceuse de poignards fantomatique. Silhouette blanche aussi vacillante que la flamme des chandelles l’entourant, elle vise, lance, touche sa cible et recommence inlassablement. On retient son souffle de peur qu’un coup de vent fasse disparaître cette étrange beauté qui a quelque chose de mécanique. Oh, ne vous laissez pas séduire si vite par cette touche de beauté au milieu des monstres et regardez plutôt la corde brûlée nouée à son cou décharné, regardez comme ses yeux sont fixes et ne clignent pas. Elle est des leurs. Lanceuse de poignards arrachée de justesse à une mort réclamée, chut c’est la favorite du favori de Mademoiselle – elle répète les mêmes gestes en attendant que l’heure vienne sans que rien, jamais, ne puisse plus la perturber.
J’aimerais être ma propre cible… mais non, vous avez rêvé. Elle ne parle pas.

Mademoiselle soudain franchit la barrière et se rend elle-même sur la piste. La dompteuse se penche, plie toute sa hauteur comme le ferait un bambou incassable pour écouter les ordres de la maîtresse. Un de ses bras longilignes se défroisse et s’insinue, long serpent blanc dont les crocs seraient des ongles peints en bleu, vers une cage de laquelle s’échappe une musique curieuse. Une comptine chantée à l’envers. La dompteuse claque des doigts et de la cage ouverte s’envole une nuée de corbeaux, merles et autres oiseaux au plumage sombre si nombreux – trop nombreux pour une si petite cage d’ailleurs… Quelques infortunés finissent sur la trajectoire de l’imperturbable lanceuse de poignards. Mademoiselle rit aux éclats, Mademoiselle applaudit.
Sur l’épaule de la dompteuse s’est posé un enfant aux ailes noires en guise de bras tandis que les autres tissent des nids ou des perchoirs dans les mèches interminables de ses cheveux noirs, dans les croissants d’argent de son costume. Si vous vous approchez de la cage, la géante vous en empêche : il reste dedans un spécimen à ne surtout pas déranger et qu’elle-même a du mal à dompter. Pas de panique, il ne sortira pas malgré la porte ouverte ; un poignard doré planté dans sa poitrine le retient au mur du fond. Et puisque la mort ne peut le libérer il lui reste la douleur, celle de la blessure, celle de la musique à l’envers qui déforme son esprit. Il finira bien par capituler et se laisser dompter. Un jour lui aussi sera sur la piste, revenez plus tard. La porte de la cage est refermée.

Au dessus de vos têtes passe un funambule aux yeux bandés, sur un fil de fer au tranchant rougi par le passage d’autres artistes moins talentueux. Admirez la performance, ne regardez pas autour de vous ou vous pourriez remarquer que votre groupe a fortement diminué depuis le début de la visite.
Appréciez-vous vos sucreries ? Mademoiselle détourne votre attention d’un cri un peu plus fort que les précédents. Appréciez-vous cette foire aux monstres ? Vous devriez, c’est normal. S’il fait froid, c’est parce que l’on se rapproche de la cage glacée non loin de l’entrée et des pulsions brûlantes de son occupant. Mademoiselle fredonne et guide vos pas vers la fin de la visite. Appréciez-vous ? Oh malheureux, pas trop près des cages ! De l’ombre surgit une main aux ongles démesurés qui a bien failli saisir votre gorge. Le fouet de la dompteuse claque d’on ne sait où et le bras retourne dans l’ombre sans que vous ayez pu voir votre agresseur. Le sourire de Mademoiselle vous intime que cela vaut mieux.

Appréciez-vous ?

Le silence en guise de réponse semble ne pas être du goût de Mademoiselle. Aussi s’arrête-t-elle, juste devant les petites portes de l’entrée qui paraissent si grandes dans leur fonction de rempart du monde réel. Elle s’arrête et ouvre grand les bras.

Moi il n’y a rien que j’aime davantage. Rien que j’aime davantage que leur présence, le rappel constant de leur laideur et de leur différence. Si j’ai bâti ce cirque c’est parce que je suis comme vous et parce que je suis comme eux.

Un cliquetis ponctue sa phrase - on dirait de la glace qui tombe. Difficile de dire d’où il vient tellement tout résonne sous ce chapiteau.

Je suis comme vous parce que ça me rassure de savoir qu’il y a plus laid que moi lorsque je croise mon reflet. Ça me rassure de m’endormir tous les soirs sur cette pensée qu’il y a pire pécheur que moi ici bas. Ça me rassure infiniment de les savoir tous réunis autour de moi, ça me permet d’oublier à quel point je peux être laide moi aussi. Oui voyez, je suis comme vous. Comme vous qui vous désolez une seconde du sort de ces abandonnés de Dieu pour mieux les oublier une fois le dos tourné, vous qui vous vanterez plus tard d’avoir ressenti cette pitié. Il n’y a pas de honte à avoir, c’est tout à fait humain.

La porte est de nouveau ouverte et peuvent sortir ceux qui le veulent. A moins que vous ne soyez encore accroché à l’iris trop claire de Mademoiselle et son sourire un peu faux.

Et puis je suis comme eux parce que je suis laide, infiniment laide. Une pécheresse telle que Dieu a décidé de la punir, de la tordre afin qu’il n’y ait plus de place pour elle nulle part si ce n’est parmi les monstres.

Un bruit sourd couvre un instant la voix de Mademoiselle, mais vous êtes toujours planté sur le seuil et bien que la porte commence peu à peu à se refermer, rien ne semble pouvoir vous faire bouger.

Voulez-vous savoir en quoi je suis comme eux ?
[Avez-vous apprécié vos sucreries ?]

Le sourire de Mademoiselle s’est agrandi.

Voulez-vous voir ce que Dieu m’a fait ?

Son sourire est si grand qu'il découvre ses gencives et tord la peau de ses joues tandis qu’elle soulève le voile couvrant la moitié masquée de son visage. Derrière elle au même instant se dresse l’ombre immense de son favori.
Ah, le bruit, c'était donc...

Si vous avez goûté aux sucreries, il est trop tard. Et les petites portes du cirque nocturne se referment sur vous, les mains de l'être brûlant de flammes se referment sur vos épaules et le rire de Mademoiselle engloutit à nouveau le chapiteau tout entier.

Cirque Nocturne : première partie

Prologue du Cirque Nocturne ; première partie de l'histoire telle qu'elle a été écrite pour le NaNoWriMo.

I. Introduction
Les débuts du cirque – regard extérieur

Au commencement était Mademoiselle.

Si dans cette ville personne ne se souvient exactement des débuts du cirque, Mademoiselle, elle, est dans toutes les mémoires. C’est d’elle que tout a commencé, autour d’elle que le cirque s’est créé.
En fait, elle a toujours été ici. Tous s’accorderont à le dire. Tous auront un souvenir plus ou moins lointain la concernant. Enfants, parents, grand-parents et ancêtres : tous. Et dans ces souvenirs, Mademoiselle est toujours la même. Même apparence juvénile, même œil gauche dissimulé, même sourire, même solitude désarmante. Oui, elle est à l’origine du cirque nocturne dont l’on murmure que l’une des fonctions sera justement de la distraire de sa solitude.

A-t-il réussi ?
Pour quelles autres raisons s’ouvrent chaque soir ses portes sur la différence et la difformité ?
Qui est Mademoiselle, et pourquoi attendre la nuit pour exhiber ses monstres ?

Une vie ne suffirait sans doute pas pour répondre aux questions que l’existence de ce cirque soulèvent, car peu sont ceux qui en ont réellement pousser les portes. La rumeur veut que ce soit parce que les visiteurs n’en seraient jamais revenus vivants mais peut-être n'est-ce qu'un fantasme des bonnes gens avides de mystères. Peut-être pas. Le sujet est aussi vague que vaste et l’on doit faire avec ce que l’on trouve, fantasmes ou réalités.

Mais commençons par le commencement.

On ne peut dater précisément les premières mentions du cirque, mais toutes ont en commun de citer peu avant l’apparition dans la vie de Mademoiselle -d’ordinaire si seule- d’une personne, d’un fantôme immense, d’un mirage à forme humaine. Ou quelque chose y ressemblant. Jamais vu ou entendu réellement, rien de plus à son sujet sinon des montagnes de spéculations. Mademoiselle se fit plus rare après l’arrivée de ce géant. Puis…
Puis il naquit comme sorti de terre, le Cirque nocturne, l’immense chapiteau à la localisation exacte inconnue proposant aux yeux des gens ordinaires une foule de créatures étranges et, selon les dires de Mademoiselle, déformés par Dieu. Le nombre de ces créatures et leurs particularités changent à chaque version. Existent-ils vraiment ou sont-ils autant d’acteurs jouant une pièce sordide pour effrayer ceux dont la foi devait être éprouvée ? Là encore les questions restent sans réponse. En dehors de cette ville les curieux sont peu nombreux, les intéressés encore moins. Les informations se font rares, précieuses même lorsqu’il s’agit de mensonges ou de on-dit. Chercher aux alentours à apercevoir le chapiteau nocturne est voué à l’échec et l’on dira que c’est normal : « c’est le cirque qui viendra à vous et pas l’inverse. », comme si la troupe de Mademoiselle ne s’offrait en réalité qu’aux yeux de quelques élus.

Mademoiselle est chef d’orchestre, maestro dictant sa partition de mystères entêtants dans le but de pousser quelques curieux jusqu’à la folie par sa simple existence. Mademoiselle a créé un labyrinthe destiné à perdre l’esprit de ceux qui chercheraient à s’approcher trop près.
L’éternelle Mademoiselle a créé son monde à l’abri des regards indésirables, monde nocturne peuplé de créatures impensables aux portes fermées à l’humanité.

Le cirque nocturne.

Du neuf avec du vieux

Comment je fais comme tout le monde et je squatte Blogspooot !
... Oui. Je suis décidément trop bête pour bidouiller du PHP toute seule, alors une base toute prête, c'est aussi bien. Tant que j'ai de quoi écrire.

Du coup je n'ai plus l'excuse du blog-à-écrits en hiatus pour justifier ma tendance à la procrastination - je trouverai autre chose. Pas comme si ça intéressait qui que ce soit.

InsomNight

Blog d'écriture de l'insomniaque qui se fait appeler Night : où vous trouverez mes univers, ceux dans lesquels je me perds et que j'essaye de partager à travers écrits et photos.

Univers

Le cirque Nocturne - Dans la salle, dans les coulisses, les spectateurs et les artistes : tous sont des monstres.
(Personnages : Mademoiselle, la Dompteuse, le Jongleur... )

Ignis Divine -
La magie, ses enfants, ses ennemis ; le feu, ce qu'il créé, ce qu'il détruit ; les Anges, ce qu'ils taisent et ce qu'ils sont.
(Personnages : Amadriel Itqal, Judicaël, Michaël... )

Détours de Babel - Le pays oublié de Dieu où les tragédies sont des contes de fées et les cimetières des royaumes. À moins que ce ne soit l'inverse ?
(Personnages :Hevad, Issaiah, Erebos, Nobody, Virgilia "Lia"... )