Danse avec moi

Elle allait et venait dans la pièce, tornade précise secondée par le tintement de ses talons aiguilles sur le carrelage, trop beaux, trop hauts, à se rompre le cou. Une déesse dansante ; chevelure vaporeuse couleur rubis, rivières de perles immaculées à son cou et sa taille, à ses poignets et chevilles, des yeux comme du corail frappé par le soleil. Autour d’elle s’enroulait son interminable jupe blanche, on l’aurait cru dansant dans les nuages. Elle m’invitait de ses bras ouverts à la rejoindre -danse, danse avec moi !- à danser avec elle sur l’air d’une infatigable boîte à musique, petit orchestre de verre tournoyant au bord de la fenêtre. Je voyais mon reflet dans ses ailes. M’emmènerait-elle au ciel ?

À peine tendis-je ma main qu’elle la serra dans la sienne faisant de moi le centre tournoyant de son ballet fredonné du bout des lèvres. Les hauts miroirs tout autour de nous imaginaient, à travers nos deux images multipliées à l’infini, une foule de danseuses nous entourant, imitant nos rires, nos moindres gestes et nos regards. Quelques plumes claires s’envolèrent et frôlèrent les gouttes de lumière des lustres réfléchies un millier de fois. Emmène-moi au ciel !

Un éclat de rire, de verre, de talons interminables contre le sol. Jupe blanche emprisonnant de ses volants ma jupe de voiles noirs ; en un tour sur moi-même j’étais à mon tour baignée de perles scintillantes qu’elle faisait tourner autour de nous. Pendant quelques secondes de mille ans j’avais des ailes, perchée sur la pointe de mes pieds nus.
Pendant quelques secondes de mille ans, le soleil étirait ses longs bras rougeoyants à l’horizon. Un coup de vent plus tard, un tapis de feuilles rouges recouvrait le sol. Bruits de talons étouffés, portes-fenêtres grandes ouvertes, l’air frais d’une fin d’après-midi d’automne envahissait la pièce. Feuilles rouges autour de nous, partout, sur les épaules dénudées de l’ange émerveillée, entre nos doigts entrelacés, imitant le ballet. Des paillettes de soleil diluées dans la fraîcheur ; notre immense boîte à musique aux mur miroitants se parait d’écarlate. Quelques secondes interminables.

Un dernier pas de deux avant que la nuit vienne tout draper de noir. Les yeux clos, je me savais protégée, douchée de longs cheveux rubis coulant sur mon visage, dissimulée au creux de bras et d’ailes refermées sur moi. La danse s’était ralentie pour devenir étreinte tout autour de moi, la chanson fredonnée s’était tue, laissant l’infatigable petite boîte à musique devenir le seul témoin d’un baiser volé, silencieux, dansé. Lèvres blanches sur lèvres nacrées ; mes pieds ne touchaient plus le sol.
Emmène-moi au ciel !

Les ailes miroirs se rouvriront, l’ange se remettra à rire tout haut ; je sais que quand je relèverai les yeux, je serai seule allongée au centre de cette pièce drapée de nuit avec pour seule compagnie le silence. Je n’aurai plus d’ailes ni de musique sur laquelle danser et les miroirs me renverront mon reflet esseulé et celui de la Lune.
Alors je ne rouvre pas les yeux. Pas tout de suite. Je reste sur la pointe des pieds, encore un peu. Laisse la brume des songes se moquer de la distance et me ramener aux côtés de ma muse haut-perchée d’ordinaire si éloignée. Ensemble. Cette fois-ci, je mènerai la danse et mon chant couvrira les petites notes précises de la boîte à musique. Je l’emmènerai au ciel, à mon tour.
Le temps d’un rêve de mille ans.

Qu'importe le temps et la distance - Réserve-moi la dernière danse.

InsomNight

Blog d'écriture de l'insomniaque qui se fait appeler Night : où vous trouverez mes univers, ceux dans lesquels je me perds et que j'essaye de partager à travers écrits et photos.

Univers

Le cirque Nocturne - Dans la salle, dans les coulisses, les spectateurs et les artistes : tous sont des monstres.
(Personnages : Mademoiselle, la Dompteuse, le Jongleur... )

Ignis Divine -
La magie, ses enfants, ses ennemis ; le feu, ce qu'il créé, ce qu'il détruit ; les Anges, ce qu'ils taisent et ce qu'ils sont.
(Personnages : Amadriel Itqal, Judicaël, Michaël... )

Détours de Babel - Le pays oublié de Dieu où les tragédies sont des contes de fées et les cimetières des royaumes. À moins que ce ne soit l'inverse ?
(Personnages :Hevad, Issaiah, Erebos, Nobody, Virgilia "Lia"... )