Cirque Nocturne : quatrième partie

Le cirque fêtera le mois prochain sa première année d'existence, et je suis toujours aussi lente à la correction et relecture de ce que j'ai déjà écrit dessus. Pas très glorieux tout ça... Allez, au travail !

IV. Immersion
Les voix sur la scène

Le rideau n’est pas encore levé que déjà s’élève la voix de la chanteuse. Plutôt qu’une langue inconnue, peu à peu le chant se révèle être de longues syllabes sans sens. Il n’en est pas moins beau. La salle est plongée dans l’obscurité jusqu’à ce que s’allume une multitudes de chandelles sur la scène en guise de projecteurs. L’aspect de la diva révélée stupéfie les spectateurs ; sa peau, ses cheveux et même ses ongles, on croirait son corps tout entier fait de verre ou cristal poli. La moindre petite flamme se reflète sur sa peau miroitante pour en faire un étrange, splendide et effrayant chandelier vivant.
Parmi la foule on s’offusque, on s’émerveille, on s’interroge : comment une telle chose peut être possible - humainement, scientifiquement ?

Comme pour y répondre, Mademoiselle a rejoint la scène aux côtés de la chanteuse de verre et d’un doigt sur ses lèvres fait taire les voix qui avaient voulu se faire entendre. Silence. Appréciez.
Le chant monte plus haut et ressemble maintenant à celui d’un carillon, des notes métalliques comme une voix humaine ne saurait reproduire. N’y a-t-il pas plusieurs voix ? Non… il y a une sorte d’écho sur la scène qui créé un chœur imaginaire à partir de la seule voix de la chanteuse. Du haut du chapiteau descendent doucement des sphères de verres suspendues comme les décorations du sapin. Ah ce sont elles, en plus du corps même de l’étrange diva, qui font résonner cet écho unique. Les flammes des bougies dansent au rythme des respirations raccourcies, des ondes provoquées par le son ; le chapiteau tout entier devient l’intérieur d’une boule à neige musicale qu’on viendrait de retourner.

Le chant atteint bientôt des aigus rares et se fait plus plaintif. Une sphère de verre passe devant le visage de la chanteuse qui rouvre les yeux. L’expression de Mademoiselle a changé.

De l’obscurité apparaît une silhouette jusque là tenue éloignée des chandeliers dont on ne distingue vraiment qu’un masque blanc tout droit sorti d’un coffre de la Commedia dell’Arte et des mouvements brefs. On le croirait entouré de bulles éphémères mais ce sont ses mouvements qui les font bouger : le Jongleur.
Quelques applaudissements timides suivent son arrivée, qui s’étouffent aussitôt. Il n’est pas seul et dans son ombre se dessinent bientôt les contours de grandes ailes blanches comme celles d’une colombe. Non. D’un ange. C’est un ange que le jongleur tire derrière lui au bout d’une chaîne. Cinq paires d’ailes dans son dos et sur son visage l’expression de la douleur. Nouveaux murmures dans la salle – sont-elles vraies ? Il ne porte aucun costume pour dissimuler quelque artifice maintenant les ailes immenses, non, elles sont bien réelles et pèsent bien lourd sur les épaules de leur porteur dont les jambes tremblent et se seraient sans doute déjà dérobées s’il n’y avait le Jongleur pour le supporter.
Les bras grands ouverts, il chante à son tour.

La chanteuse ne s’est pas interrompue et peu à peu sa voix est couverte par ce chant plus fort que le sien, plus douloureux, rivalisant avec le sien dans des aigus impossibles. Trop haut, trop beau, il en est presque difficile à supporter. Beaucoup se bouchent les oreilles. Les sphères de verre répètent le son à l’infini, mais bientôt sa hauteur les fait éclater une à une.
Mademoiselle a un regard en direction de la chanteuse ; la gorge de celle-ci vient de se fissurer et son bras droit éclate en un millier d’éclats transparents. Pas de sang, juste des morceaux de verre épars sur la scène. Une grimace de douleur, mais c’est tout. Cela n’arrête pas la chanteuse, ni n’arrête l’ange. Duo étrange.

Leurs voix se mêlent peu à peu en une même plainte déformée par l’écho tordu que renvoient le verre et le cristal brisés. Le chant devient une arme, et sa beauté meurtrière. Dans la salle, les spectateurs en ont les larmes aux yeux – et les oreilles qui sifflent.
Les fissures s’agrandissent et se dispersent sur le corps fragile comme autant de veines sinueuses. Cela doit cesser.

Mademoiselle claque des doigts ; aussitôt jaillit de l’obscurité un long bras blanc dont la main se pose sur la bouche de l’ange pour le réduire au silence, et qui l’entraîne finalement loin des regards et de la scène. La chanteuse s’est tue, emportée par le Jongleur. Un silence hébété fait place au duel de voix douloureuses qui résonnaient encore quelques secondes plus tôt. Seule sur scène, la maîtresse des lieux fait une révérence et annonce le prochain numéro avec un sourire plaisant. Le spectacle reprend et peu à peu l’on se remet de ce moment de flottement, cet instant à la fois magnifique et cruel, en s’imaginant que cela faisait partie du numéro.

En coulisses, Mademoiselle gifle le Jongleur si fort que son masque en tombe par terre. Mais elle n’est pas énervée, au contraire son sourire est celui d’une enfant ravie ; l’expérience était trop intéressante et Mademoiselle aime tant tout ce qui est intéressant. Elle prévient juste le jongleur de ne plus mettre la vie de ses artistes en danger de la sorte sans l’en avertir plus tôt. Le masque sur le sol lui en fait la promesse avec un ricanement.

A la fin du spectacle, elle rejoindra le chevet de la chanteuse et ordonnera qu’on répare ce qui peut l’être sans que sa voix en pâtisse, pour qu’elle retourne sur scène le plus tôt possible. Ne pas atténuer la douleur, non, il en naît de telles beautés.

Mademoiselle passera la journée suivante à fredonner dans les couloirs et recoins du cirque endormi. Le duo improvisé lui a donné des idées de numéro qu’elle veut à tout prix voir se réaliser.

3 commentaires:

Lycoris 15 août 2010 à 12:18  

Décidément, l'être le plus facétieux et le plus insupportable est mon préféré. Le Jongleur est une merveille en termes d'imprévisibilité. Le seul terme qui me vient pour le qualifier, étrangement, est "grotesque". C'est ainsi que j'imagine les mimiques qui s'affichent sur son masque - et non pas sur son visage. En a-t-il seulement un ?
Je suis étonnée de constater que je lui ai pas rendu hommage dans les commentaires précédents.

Une femme tout de verre pour une voix cristalline, étincelante comme un diamant. Quel étrange bijou humain ! Et quelle belle parure elle ferait sûrement, autour du cou d'une noble dame. N'est-ce pas, Mademoiselle ?
(L'idée d'une Chanteuse n'utilisant aucun langage réellement articulée m'était déjà venu, mais plutôt pour un genre de Sirène. Je suis curieuse de voir quel est son rôle exact, en dehors de la scène).

Pour l'ange, je m'interroge. Le chiffre cinq a-t-il une valeur particulière pour symboliser tout le poids dont elles accablent ce jeune corps ? Je me demande aussi cela se fait-il que sa voix égalise celle de la Chanteuse. Je pensais (Ah ! Quelle prétention !) que chaque membre de la troupe avait sa particularité bien à lui. Je n'imaginais pas qu'ils puissent se faire concurrence, d'une certaine manière.

Ma foi, les textes sont rares. Mais malgré son nom et l'idée que l'on peut s'en faire, ce cirque-là n'a pas besoin d'un public pour exister. Il vient bien mieux dans l'ombre et le silence.

Nighty 21 août 2010 à 13:34  



J'ai cru comprendre qu'on avait des goûts en commun en matière de personnages - le Jongleur est aussi mon préféré pour un tas de raisons. Quant à son visage la réponse est non, il n'en a pas 'vraiment'.

Les membres de la troupe sont encore quelques uns à pousser la chansonnette sur scène, mais dans un style très différent de celui de la chanteuse - mais ça c'est pour plus tard. Mais tu n'avais pas tort, ils ne sont pas tous polyvalents. L'Ange est un cas particulier. (A la base il a six paires d'ailes mais la première a été coupée par Mademoiselle -2ème partie-. Donc c'est plutôt le nombre original, six, qui se veut symbole.)

megu 24 août 2010 à 13:01  

Aw, enfin une autre partie, et pas des moindre ! Elle est vraiment captivante. Oui je sais j'ai l'air de dire ça à chacune de tes parties mais là, le fait d'intégrer une chanteuse, c'est magique. Je ne peux qu'imaginer et presque sentir les frissons qui parcourent le corps des spectateurs, et je ne peux que les envier, aussi.

Tes personnages sont si hétéroclites qu'on a tellement envie d'en apprendre plus sur eux, et grâce à ça on ne s'ennuie jamais et on est toujours tenu en haleine pour la suite. A travers tes personnages, on a l'impression de voyager, de voir du neuf, de visiter les fin fonds de la bizarrerie qui n'en reste pas moins humaine.

Bref, vivement la suite ! ♥

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(Personnages : Mademoiselle, la Dompteuse, le Jongleur... )

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